Faire le deuil de son premier appartement
La vie est faite de séparations, celles-ci sont plus ou moins douloureuses. Il y a des séparations, on ne s’attendrait pas à ce qu’elles nous blessent, et pourtant...
Laissez-moi vous raconter l’histoire de mon premier appartement et pourquoi j’ai eu un mal fou à en partir et à me plaire ailleurs.
Le premier appartement, la première fois où l’on part de chez ses parents, c’est une étape importante, quelque chose qui nous marque à vie. C’est aussi généralement à cette période que l’on quitte l’adolescence pour rentrer dans l’âge adulte. En règle générale, on quitte le lycée et la supervision des adultes qui rythmaient notre quotidien et on se retrouve véritablement livré à soi-même pour la première fois.
Plus j’avançais dans mon année de terminale, plus j’avais hâte que ce moment arrive, sans pour autant le dire à mes parents, j’avais peur que ça me porte la poisse (superstitieuse, moi ?), c’est pourquoi j’ai attendu le tout dernier moment pour leur en parler.
À la recherche de l’appart idéal
Le soir même de l’obtention de mon bac, d’un commun accord avec mes parents, nous avons décidés de me louer un appartement pour mes études. C’était plus pratique, je n’avais pas à prendre ni la voiture, ni le bus, ni le train tous les jours, simplement le métro, je n’étais pas dépendante des horaires des transports en commun, ni des mouvements de grève, ni des perturbations possibles sur les lignes.
Effectivement, il y avait là un côté pratique, mais j’y voyais aussi autre chose : j’allais enfin avoir plus d’indépendance pour la première fois de ma vie. J’allais vivre seule, j’allais connaître la chose à laquelle j’aspirais depuis quelques temps.
Pour je ne sais quelles raisons, les gens doutaient que je sache me débrouiller seule (les médisances vont toujours bon train), pas moi. Je n’ai peut-être jamais eu une très grande confiance en moi mais je n’avais aucun doute quant à ce sujet. La vie m’a donnée raison, les gens qui me rabaissaient n’en sauront jamais rien mais c’est tout de même plaisant de me dire que j’ai déconstruit leurs préjugés.
J’ai visité deux appartements, deux studios. Le premier à la disposition douteuse, avec une mauvaise isolation, aussi bien phonique que thermique, dans le quartier « jeune » de la ville, autrement dit, avec la rue des bars juste à côté, ce qui ne me correspondait pas du tout.
Le second s’est révélé être un coup de cœur. Dans un quartier calme qui me donnait l’impression de toujours vivre dans une petite ville, dans une petite résidence, calme (du moins, les trois premières années), pas dans le meilleur des états, avec pas mal de petits travaux, mais qu’est-ce que je m’y sentais bien. J’en étais sûre, c’était celui-là, c’était le bon. Je conserve toujours cette certitude : c’était le bon.
Cinq ans de bonheur…
Mon dossier déposé, le contrat signé, les clefs reçues, les murs repeints en blanc, les toilettes et la plaque de cuisson réparées, internet installé après de nombreuses galères, j’ai enfin pu emménager. J’y étais bien. J’y ai été bien pendant les cinq ans où j’y ai vécu (à part le bruit lors des deux dernières années, surtout la dernière). Ce n’était peut-être pas hyper bien décoré, pas hyper bien personnalisé, mais ça me correspondait, ça correspondait à ce que j’étais, et l’agencement et la localisation étaient idéaux.
J’aimais cet appartement de tout mon cœur, d’autant plus parce que, une fois la porte refermée, je ne passais plus devant avant le lendemain matin puisqu’un grand mur séparait l’entrée du reste de l’appartement, de ce fait, j’avais vraiment l’impression de déconnecter de ma journée. J'avais réussi à me créer un petit coin salon et à le séparer du côté chambre, j'avais un genre de bar qui me servait pour prendre mes repas. J'étais vraiment bien. Je ne vais pas m’étaler plus, je pourrais vanter les mérites de cet appart pendant des heures. Et puis, cet endroit a aussi été le témoin de nombreux moments de ma vie, pas toujours joyeux, mais j’y ai vécu beaucoup de choses.
J’y ai appris à me découvrir (c'est le moins que je puisse dire) et je me suis surtout rendue compte que je savais parfaitement me débrouiller seule (même si, avouons-le, pour certaines situations, c’est toujours bien de faire appel à un membre de sa famille).
… ou presque
Et puis un jour, je reviens après les vacances de Noël, je trouve un avis de passage dans ma boîte aux lettres, je fonce à la poste chercher le recommandé le lendemain. À la lecture du courrier, j’ai eu l’impression que mon cœur cessait de battre.
Mes proprios vendaient l’appart et ne me laissaient que deux solutions : soit, je l’achetais, soit, je partais. Je l’ai très mal pris. Déjà, parce qu’ils ne m’avaient pas prévenue au préalable et puis, parce qu’on ne voulait plus de moi, on me rejetait. J’avais moins de six mois pour trouver un autre appartement. Certes, le bien était à eux, ils étaient parfaitement dans leur droit, mais je n’avais rien fait de mal alors, je ne comprenais pas pourquoi ils voulaient se débarrasser de moi.
Je dois vous avouer que j’étais un peu désespérée, je ne voulais pas partir mais je ne voulais pas l’acheter non plus ; je n’avais pas l’intention de passer toute ma vie dans cet endroit, je demandais juste à en partir quand je serais prête et clairement, prête, je ne l’étais pas. C’était une période assez compliquée pour moi et cela venait s’ajouter.
Même si ça n’avait rien de personnel, j’ai pris cela comme une trahison. Le terme est peut-être un peu extrême, sûrement même, mais je ne comprenais pas ce que j’avais fait pour que l’on me rejette comme ça. C’était un rejet supplémentaire, et le rejet, c’est une très grosse blessure chez moi, peut-être bien celle qui me fait le plus mal (je vous parlerai un jour des "cinq blessures qui empêchent d’être soi-même", promis).
Je ne voyais même pas les côtés positifs à ce départ, ou devrais-je dire, le côté positif, celui de me débarrasser enfin de mon voisin du dessus qui faisait la fête jour et nuit et dont les invités venaient régulièrement sonner à mon interphone (être réveillé en sursaut à deux heures du matin quand tu te lèves quatre heures plus tard, ça fait toujours plaisir).
Une quête impossible
Je me suis alors mise en quête d’un logement de remplacement, un logement qui me correspondrait tout autant. Je ne l’ai pas trouvé, et pourtant, j’en ai visité beaucoup. Par dépit, j’ai pris le moins pire de tous, en plein centre-ville, un quartier qui aurait plu à n’importe qui… mais pas à moi.
Je ne me sentais plus chez moi. Le logement était déjà meublé, certes, c’était pratique pour déménager, je n’avais besoin d’apporter que mes valises et c’était terminé mais c’était aussi incroyablement impersonnel. Les murs orange me donnaient la nausée, le flash lumineux de l’alarme incendie était situé juste en face de mon lit, autant vous dire que la nuit, ce n’était pas des plus appréciables (au point où j'ai même été obligée de retirer la pile, je sais, c'est mal), il y avait un vis-à-vis de dingue qui m’obligeait à fermer les volet dès que j’allumais la lumière, seule la salle-de-bain refaite à neuf trouvait grâce à mes yeux (mais on ne vit pas dans sa salle-de-bain), et surtout, surtout, les voisins étaient exécrables.
Je ne suis pourtant pas chiante (du moins, je ne m’estime pas chiante), mais il y a deux choses que je ne supporte pas : les odeurs et le bruit. J’ai eu le droit aux deux.
Je ne suis pas du genre fêtarde, j’avais des voisins du dessus qui faisaient des soirées jusqu’à pas d’heure chaque jeudi (jour de prédilection des étudiants pour sortir, je n’ai jamais compris pourquoi) et, par-dessus tout, qui fumaient tout le temps, au point que même la fenêtre fermée, je sentais l’odeur de la cigarette émaner de l’appart du dessus. Autant vous dire que j’ai passé des fin de journée et des nuits merveilleuses…
Et puis, l’isolation de cet endroit était incroyablement mauvaise, je sentais l'air passer au niveau du parquet et des fenêtres. Je n’ai, cependant, jamais voulu allumer le chauffage, je ne le faisais pas dans l’appartement précédent où il ne faisait jamais moins de 20 degrés, je ne me voyais pas commencer à l’allumer à cet endroit. Autant vous dire que, l'hiver, j'ai vécu avec beaucoup de couvertures.
J’ai amèrement regretté mon premier logement, celui qui aura toujours une place spéciale dans mon cœur, celui qui m’a vu faire de nombreuses découvertes, celui qui dans lequel j’ai grandi. Ce second appartement, lui, m'a vue stagner, et c'est bien une chose que je ne supporte pas.
Le jour où j'ai enfin rendu les clefs, j'ai eu l'impression d'ôter un poids de mes épaules. J'étais enfin libre. J'allais recommencer à vivre dans le calme, sans odeur de cigarette, sans voisins qui t'accusent de tous les maux de la terre et qui ne font preuve d'aucune logique. Aucune.
J'ai eu plus de problèmes en deux ans dans cet appartement qu'en cinq ans dans l'autre. Mes problèmes, j'ai pris la décision de m'en débarrasser.
Ce que j'ai retenu
Tout ça pour dire qu’au même titre que c’est souvent dur de faire le deuil d’une personne, c’est compliqué de faire celui d’un lieu. Ça l’est d’autant plus quand la personne ou la chose en question a énormément compté pour nous. Il n’y a pas de recette miracle pour s’en remettre, malheureusement.
Aujourd’hui, je vis dans un endroit qui n’est pas parfait mais que j’aime et dans lequel je me sens bien, pourtant, il m’arrive souvent de repenser à mon premier appartement et de le regretter un peu, de ressentir une certaine forme de nostalgie en me remémorant les années que j’y ai passées et la vie que j'y ai vécue.
Il m’arrive de me demander s’il s’est vendu et si les nouveau propriétaires en sont satisfaits, s’ils l’ont bien rénové, s’ils le louent à nouveau… Peut-être que je me fais un peu de mal à penser à cela mais ça ne fait rien, il faut parfois souffrir pour pouvoir guérir.
Faire le deuil de cet appartement signifiait faire le deuil des cinq années que j’y avais vécues, les bons comme les mauvais moments que j’ai pu y avoir. C’était tourner la page d’une période que je n’avais pas envie de voir disparaître.
Mais maintenant que la page est tournée et que je regarde ces années avec bienveillance, je peux dire que je suis heureuse de les avoir vécues.
Aussi bien dans le premier appartement que dans le second, car cela m'a permis de comprendre ce dont j'avais besoin et ce que j'étais prête à accepter pour, socialement, me sentir comme tout le monde.



